Liban : la révolte populaire naît aussi de l’écologie

Hugo Lautissier, Reporterre, 2 novembre 2019 

Depuis le 17 octobre, des centaines de milliers de personnes battent le pavé des principales villes libanaises et réclament la chute du gouvernement et la fin du système politique confessionnel. Les préoccupations écologiques qui dégradent le quotidien des habitants figurent en bonne place dans les revendications.

  • Beyrouth (Liban), correspondance

« J’étais censé aller au camping ce week-end, mais vous avez brûlé ma nature » : tel est le genre de slogans que l’on voit fleurir ces derniers jours sur les pancartes des manifestants réunis depuis le 17 octobre sur la place des Martyrs, au centre-ville de Beyrouth. Deux jours plus tôt en effet, des incendies d’une ampleur inédite depuis plusieurs décennies avaient ravagé les espaces boisés du nord au sud de ce pays, frontalier avec la Syrie et Israël. Le gouvernement s’est alors montré incapable de gérer le désastre, demandant le renfort de canadairs des pays voisin, alors même que trois hélicoptères libanais restaient cloués au sol, faute d’avoir été entretenus. Devant l’absence de plan d’urgence, la polémique a enflé alors que les chaînes TV de tout le pays passaient en boucle des images de forêts ou de voitures carbonisées et de villageois essayant tant bien que mal d’aider les pompiers.

Cet épisode, conjugué à la décision du ministre des Telecom, le lendemain, de taxer les messageries de type Whatsapp, Skype ou Messenger à hauteur de six dollars par mois a mis le feu au poudre, alors que le pays traverse une crise économique sans précédent avec un endettement de 150 % du PIB, plaçant le Liban dans le trio de tête des pays les plus endettés au monde, derrière le Japon et les Grèce.

« Quand on voit l’état pitoyable des infrastructures, l’absence d’eau potable, les coupures d’électricité chaque jour…Comment a-t-on pu supporter cette situation au quotidien pendant tant d’années ? Ça reste un mystère pour moi », dit Wissam, un jeune manifestant rencontré lors des premiers jours de mobilisation et qui occupe chaque jour la place des Martyrs.

Depuis la fin de la guerre civile qui a sévi de 1975 à 1990, l’accès à l’électricité est rationné. La compagnie publique Electricité du Liban (EDL), qui détient le monopole de la production nationale depuis les années 1960, ne produit pas assez d’électricité pour satisfaire la demande et doit rationner la distribution. Chaque jour, à heure fixe, pendant trois heures, l’électricité est coupée dans le Grand Beyrouth. Cette coupure quotidienne peut facilement être deux fois plus longue dans les zones reculées de la capitale ou dans les autres villes et villages du pays. Les Libanais payent ainsi une double facture d’électricité : celle, publique, de l’EDL puis celle du générateur destiné à suppléer les manquements du secteur public. Un problème du même ordre se pose concernant l’eau, non potable, qui oblige chaque habitant à payer là-aussi deux factures, alors même que le pays, considéré parfois comme le château d’eau du Moyen-Orient, dispose de ressources importantes en eau potable. Le Liban est considéré en situation de « stress hydrique extrêmement élevé »par l’Institut des ressources mondiales (WRI).

De l’aveu même de président Michel Aoun, lors d’un discours télévisé prononcé jeudi 31 octobre, « lutter contre la corruption est une longue route. La corruption est partout : dans l’administration, dans la politique, dans les finances de l’État ».

Le système politique du pays, qui compte 18 communautés religieuses, repose sur le confessionnalisme et donc sur une répartition des pouvoirs politiques et administratifs suivant les obédiences religieuses. Les portefeuilles ministériels et les 128 sièges de députés sont répartis paritairement entre musulmans et chrétiens. Censé garantir la stabilité du pays, le système nourrirait en fait le clientélisme, le népotisme et la corruption, une opinion partagée par les manifestants qui appellent à un nouveau paradigme politique. La défiance à l’égard de la classe politique est en tout cas généralisée : le Liban figure à la 138e place sur 180 pays du monde au classement 2018 de l’indice de perception de la corruption, réalisé par Transparency International.

Symbole de ces griefs, la gestion des déchets reste un serpent de mer. En 2015, alors que les rues du pays croulaient littéralement sous des montagnes d’ordures, après la fermeture de la principale décharge du pays, arrivée à saturation, un mouvement de protestation inédit avait paralysé la capitale, sous l’impulsion de collectifs issus de la société civile comme le groupe « Vous Puez », conspuant l’incompétence de la classe politique.

 « Les manifestations ont duré un mois, ça a été le début d’une prise de conscience collective », dit Ziad Abi Chaker, ingénieur, directeur de Cedar Environemental, et militant infatigable de la cause environnementale. « La gestion des déchets ménagers est une poule aux œufs d’or au Liban. L’historique de ce dossier est nourri de corruption et de transactions illégales voire criminelles. Tout changement du statu quo entre les partis impliqués signifie que le robinet à cash va s’assécher pour la classe politique. Le problème n’est d’ailleurs toujours pas réglé, il est géré avec beaucoup d’incompétence et de corruption. Notamment via leur solution : ils persistent à vouloir adopter des incinérateurs de déchets », poursuit Ziad Abichaker, qui a consacré un documentaire en accès libre au problème des incinérateurs. Il y démontre leur nocivité en l’absence de tri préalable des déchets toxiques. Les habitants des quartiers situés à proximité des incinérateurs seraient les premières victimes de leur pollution.

Depuis le début de la mobilisation pourtant, un vent d’espoir souffle sur le centre-ville de Beyrouth. Chaque matin, à partir de 8 heures, de nombreux manifestants se donnent rendez-vous place des Martyrs, pour nettoyer les détritus de la soirée précédente. Depuis quelques jours, l’ONG Recycle Lebanon a installé des citernes d’eau sur la place, afin de réduire la consommation de plastique lors des rassemblements ainsi que des panneaux solaires. « Je ne fais que participer au nettoyage, mais certaines associations et ONG ont fait un travail exceptionnel, s’enthousiasme Sabine, qui a implanté la première boutique bio au Liban, il y a dix ans. En dix jours, ils ont plus fait que le gouvernement en quarante ans ».

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