L’Organisation mondiale du commerce doit écouter les pays pauvres

Chronique publiée dans Le Devoir, samedi 27 février 2021, dans la section Opinion.

Pendant que le Québec navigue avec difficulté dans la gestion de la crise de la COVID-19, on peut constater qu’une très grande partie du reste du monde est en train de sombrer. Malgré les appels à la communauté internationale, il n’y a pas grand-chose qui se fasse, excepté l’envoi de quelques doses vers les pays le plus touchés (le programme COVAX). Entre-temps, les pays qui ont les moyens achètent et stockent la plus grande part des vaccins et autres équipements disponibles sur les marchés. Même l’OMS est obligée de dire que les programmes d’aide sont très loin de répondre à cette catastrophe.

Si on est chanceux, moins de 20 % des 6 milliards de gens dans le Sud global pourront recevoir les vaccins. Et on ne parle même pas de la situation dévastatrice qui sévit dans les systèmes de santé, largement diminués depuis des années de politiques néolibérales. Au Mexique, au Brésil, en Inde, en Égypte, les riches ont accès à de super cliniques privées avec climatisation et tout le reste. Allez voir dans les hôpitaux et les cliniques publiques délabrées, surpeuplées, sans moyens…

Devant la COVID, les pays riches et les institutions internationales (Banque mondiale, FMI, Organisation mondiale du commerce, G7, etc.) refusent de faire face à la situation. Dans le cadre des politiques néolibérales dominantes, ils refusent de céder sur les « droits de propriété » codifiés par les accords de l’OMC (« TRIPS »), qui permettent aux entreprises multinationales concernées, autrement appelées le « Big Pharma », de garder le contrôle sur leurs vaccins et autres produits médicaux (qui sont pourtant financés par les budgets publics, comme ceux des universités, qui font la recherche la plupart du temps). Pfizer, un des grands acteurs du « Big Pharma », prévoit d’augmenter ses profits 15 milliards de dollars en 2021 !

La semaine prochaine, l’OMC convoque ses commettants. Il est probable qu’on va insister sur la nécessité de protéger la « propriété privée » des brevets, alors qu’une extraordinaire coalition d’États, d’institutions et de mouvements sociaux demande la suspension des TRIPS dans le moment dramatique actuel. Il est prévisible que les États-Unis et le Canada vont argumenter contre, alléguant qu’on peut aider les pauvres par des dons et laisser le « marché » répondre aux besoins. Notons que parallèlement, les États-Unis menacent de représailles des pays du Sud qui voudraient coopérer avec la Russie et Cuba pour l’accès à des vaccins et à d’autres mesures d’appui.

Il y a quelques années, une mobilisation sans précédent a réussi à secouer la cage alors que des dizaines de millions de personnes mouraient du sida, étant incapables d’avoir accès aux médicaments rétroviraux brevetés. Il a fallu des manifestations, des pétitions et des interventions répétées de la coalition pour que finalement, l’OMC et les pays dominants acceptent de céder. Aussitôt, les pays les plus concernés ont commencé à produire des médicaments génériques à une fraction du prix imposé par le « Big Pharma ». Des millions de vies ont été sauvées.

Fait à noter, il existe une clause dans la déclaration de principes de l’OMC qui permet de suspendre les TRIPS dans des cas exceptionnels, à savoir des pandémies mondiales ! Dit autrement, l’OMC pourrait bouger.

Aujourd’hui, l’heure est grave. Très rapidement, en quelques semaines, des pays comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et plusieurs autres, qui disposent d’installations pharmaceutiques avancées, pourraient produire les milliards de vaccins requis pour vraiment arrêter le massacre, ce qui serait une mesure efficace et sans comparaison avec les dons que certains pays annoncent et qui, on se répète, ne sont ni adéquats ni suffisants, et qui vont surtout alimenter les profits du « Big Pharma ».

La semaine prochaine à l’OMC, ces pays et plein d’autres vont essayer de forcer la porte. Ils sont appuyés par un tas d’institutions et d’organismes, sans compter les experts médicaux. Seront-ils écoutés ?