Palestine : massacre et indécence

 

RENÉ BACKMANN, Mediapart, 15 mai 2018

La nouvelle tuerie perpétrée lundi par l’armée israélienne à la frontière de Gaza, pendant que Benjamin Netanyahou dédiait à Donald Trump ce « jour glorieux » où l’ambassade américaine était transférée à Jérusalem, confirme qu’un nouveau désastre est en cours au Moyen-Orient. L’Iran en est le prétexte et les Palestiniens, les premières victimes.

 

Abjecte. C’est l’adjectif qu’a choisi lundi Amnesty International pour qualifier la violation sauvage des droits humains et du droit international par l’armée israélienne, à la frontière de la bande de Gaza. En moins de quatre heures, les tireurs d’élite israéliens ont tué 52 manifestants palestiniens venus protester, parfois avec des cailloux, des bouteilles incendiaires ou des pneus enflammés, mais sans armes à feu, contre le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, et les onze ans de blocus imposés à leur territoire par Israël. Mardi matin, le bilan s’élevait à 58 personnes tuées.

Depuis que les Palestiniens de Gaza ont décidé (le 30 mars) de manifester chaque vendredi, au voisinage de la frontière avec le territoire israélien, pour réclamer leur « droit au retour », plus d’une centaine d’adultes, enfants, secouristes, journalistes ont été tués par balles, et des milliers d’autres blessés. Et quelle tragédie faut-il redouter ce mardi, jour de la « Nakba », où les Palestiniens vont à la fois enterrer les victimes de la tuerie de Gaza et manifester en souvenir de la « catastrophe » de mai 1948, où près de 700 000 d’entre eux ont été expulsés par la violence et la terreur de leurs villages ?

Abjecte aussi était l’indécence de Benjamin Netanyahou célébrant devant ses invités, pendant que le massacre se déroulait à la frontière de Gaza, ce « jour glorieux » où le président américain a, selon lui, « écrit l’histoire » en transférant l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Mais comment s’en étonner ? Conforté dans son mépris du droit, son aventurisme armé et la certitude d’être impuni par les initiatives diplomatiques aussi insensées que spectaculaires de son allié et protecteur américain, pourquoi Netanyahou ne se sentirait-il pas les mains plus libres que jamais, pour agir comme il l’entend ?

Après avoir largement contribué à plonger dans un coma sans retour le « processus de paix » avec les Palestiniens, appliqué en Cisjordanie un plan de colonisation à outrance qui a détruit, dans le silence complice de la communauté internationale, tout espoir d’une solution à deux États, le voici en mesure de réaliser grâce à Trump deux de ses projets les plus chers.

À Jérusalem, qui l’empêchera désormais de mettre en œuvre son projet d’annexion à la « capitale » reconnue par Trump des terres de Cisjordanie, déjà annexées de fait par le mur de séparation ? Et cela, même si la création de ce Grand Jérusalem s’accompagne d’un véritable tri ethnique, pour préserver le ratio de population juive de 60 %. Et même si ce n’est qu’une étape vers l’annexion future d’une beaucoup plus grande partie de la Cisjordanie.

Dans la région, où les monarchies arabes n’ont qu’un véritable projet commun – redouter l’Iran –, qui fera désormais obstacle à sa vieille obsession, partagée avec Trump : déstabiliser et affaiblir la République islamique ? Voire, c’est le rêve de deux des plus proches conseillers de Trump, provoquer la chute du régime et son remplacement par un système à inventer dans lequel les émigrés iraniens de Californie auraient leur mot à dire.

Qu’importe si les expériences précédentes de changement de régime les armes à la main par les États-Unis n’ont pas fait le bonheur des peuples intéressés. Et peu contribué à la stabilité de la planète.

Un nouvel équilibre, ou plutôt un nouveau déséquilibre est en train de se mettre en place, au Moyen-Orient. Et il fait peur. Il repose sur la proximité de Netanyahou et Trump et la porosité idéologique de leurs entourages. Sur la rencontre des évangélistes sionistes – parfois antisémites – qui ont porté l’un au pouvoir aux États-Unis et des sionistes nationalistes ou messianiques qui soutiennent l’autre en Israël. Sur leur commun mépris du droit international, du multilatéralisme, des droits humains. Sur leur goût partagé des faits accomplis et des coups d’éclat. Sur leur conviction aussi que la force peut être utilisée à chaque instant comme outil de « négociation ». Et donc de coercition ou de punition.

Il repose aussi sur la convergence inédite de la majorité du monde sunnite du Moyen-Orient, derrière le nouveau maître de l’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane, avec Israël et les États-Unis. Convergence dont les premières victimes sont, une fois de plus les Palestiniens, désormais sommés, par leurs « frères » arabes d’accepter un plan échafaudé dans leur dos par les conseillers de Trump et de Netanyahou. Plan dont les premières lignes connues ont été jugées inacceptables à Ramallah.

Nous vivons désormais dans un monde déraisonnable et inquiétant où le premier ministre israélien peut se livrer à un spectacle ridicule, accompagné d’un bric-à-brac documentaire qui ne prouve rien, pour nous livrer un secret qui n’en est pas un. Et où le président de la nation la plus puissante de la planète invoque ce faux secret pour bafouer la signature de son pays, et les résolutions des Nations unies, tout en menaçant de sanctions ses cosignataires, vieux alliés ou non. Ce, en vertu de l’extraterritorialité extravagante de certaines de ses lois, que le reste de la planète a, jusque-là, benoîtement acceptées.

Dans ce monde, le président des États-Unis peut désigner à la tête de ses services de renseignements une femme, Gina Haspel, qui a dirigé en Thaïlande une prison secrète où les détenus soupçonnés d’appartenir à Al-Qaïda étaient torturés. Il peut aussi envoyer à Jérusalem pour célébrer le transfert de l’Ambassade américaine son conseiller pour les affaires évangéliques, Robert Jeffress, un pasteur baptiste qui estime que « les juifs doivent aller en enfer » comme une bonne partie des chrétiens non « born again », et que les musulmans sont « le mal ».

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