Les nouveaux réfugiés pleurent leur vie d’avant
Chassés par la reprise du conflit entre le Front Polisario et le Maroc, les Sahraouis se réfugient à nouveau en Algérie, laissant derrière eux leurs troupeaux et leur vie sociale.
Nama Taleb-Omar en était à la moitié de son cours lorsque les soldats sont entrés dans sa classe.
C’était en octobre 2020, un mois avant que le Front Polisario, qui lutte pour un Sahara occidental indépendant, mette fin à un cessez-le-feu de trente ans avec le Maroc.
Mais les tensions entre le mouvement de libération sahraoui et le royaume étaient déjà très vives. Le long du mur des Sables, une fortification de 2 700 km de long qui divise les zones contrôlées par le Maroc et les « territoires libérés », les querelles et les confrontations se sont multipliées.
Dans le village d’Agounit, les soldats sahraouis estimaient qu’ils ne pouvaient plus garantir la sécurité des habitants. Il était temps d’évacuer.
« Les enfants étaient terrifiés. Ils avaient peur de retourner dans leurs tentes parce qu’elles étaient proches du mur, ils voulaient aller directement à la frontière avec la Mauritanie, à l’abri du danger », raconte Nama Taleb-Omar, 41 ans, à Middle East Eye depuis le camp de réfugiés de Dakhla, dans le sud-ouest de l’Algérie.
Une trentaine de familles vivaient à Agounit à l’époque. Comme d’autres campements sahraouis dans les 20 % du Sahara occidental contrôlés par le Front Polisario, Agounit est un conglomérat reculé de tentes, de maisons en terre et de structures en béton plus permanentes.
Vie nomade
Aucune route ne mène au village. Dans les « territoires libérés » du Front Polisario, les produits de première nécessité doivent être acheminés par camion depuis l’Algérie ou la Mauritanie.
Environ 175 000 réfugiés sahraouis vivent dans des camps dans la région de Tindouf, en Algérie. Les plus anciens ont été chassés du Sahara occidental lors de l’invasion du Maroc et de la Mauritanie en 1975. La plupart sont leurs descendants et n’ont jamais vécu autre part.
Mais au cours de la dernière décennie, quelques milliers d’entre eux se sont rendus dans les parties du Sahara occidental contrôlées par le Front Polisario pour y refaire leur vie. Renforçant les revendications d’indépendance de la république proclamée par le Front Polisario, ils ont repris une vie nomade traditionnellement adoptée par les Sahraouis.
« La vie était belle », se souvient Nama Taleb-Omar. « Nous nous sommes familiarisés avec la nature, nous nous occupions de nos troupeaux. Sans la guerre, je ne serais jamais partie. »
Mais l’évacuation a mis fin à tout cela et les familles d’Agounit sont devenues des réfugiés à double titre. Les villageois ont été escortés vers l’Algérie par un convoi de l’armée.
« Le visage des soldats était inexpressif, il n’y avait pas de peur », raconte Nama Taleb-Omar. « Mais tous les autres étaient paniqués, les plus âgés comme les plus jeunes. Nous avions peur des drones marocains. »
Ses parents n’ont pas pu renoncer à la vie nomade. Comme leur fille, ils ont également fui Agounit en octobre et se sont installés juste de l’autre côté de la frontière mauritanienne, pour pouvoir se rendre dans les territoires libérés et s’occuper de leurs troupeaux si nécessaire.
« Il parle toujours de Tifariti »
Mais un tel mode de vie ne convient pas à tout le monde. Khadjetu Salku, 25 ans, s’est installée il y a environ six ans dans la ville de Tifariti, dans le nord du Sahara occidental, car ses parents souhaitaient mener une vie plus traditionnelle.
« J’ai détesté ! Le premier mois était si ennuyeux, tous mes amis sont restés dans les camps », raconte-t-elle à MEE, tout en dessinant des arcs de cercle avec les doigts, dont les extrémités sont imprégnés de henné. « Mais au bout d’un moment, je me suis habituée, je me suis sentie plus à l’aise et j’ai commencé à apprécier l’atmosphère. »
Khadjetu Salku et sa famille ont quitté Tifariti quatre semaines après la rupture du cessez-le-feu en novembre 2020. « Nous avions peur, mais nous n’avions pas de voiture pour partir. »
La jeune femme regrette surtout les soirées passées à boire du thé avec ses amies dans le désert de Tifariti, même si elle se sent bien dans le camp de Bojador, où elle vit avec sa tante.
Pour ses parents, c’est une autre histoire. « Mes parents se sentent très mal, surtout mon père. Il parle toujours de Tifariti et de son envie d’y retourner. En tant que chevrier, son travail a été durement affecté. »
Comme le père de Khadjetu Salku, Maalainin Mohammed, 59 ans, était également berger dans les « territoires libérés », où il vivait depuis 2013.
Même s’il a quitté le village de Bir Tighisit en février, il n’est jamais resté enraciné à un endroit. « Je suivais mon troupeau et la pluie. Partout où la pluie passe, j’y emmène mes bêtes. »
Avant même la rupture du cessez-le-feu, les temps étaient difficiles pour Maalainin Mohammed. Le Sahara occidental est accablé par une sécheresse suffocante et ses chèvres tombaient malades et mouraient. « Parfois, nous voyons un nuage, mais il ne pleut jamais. Il y a de l’herbe, mais elle n’est pas nourrissante. »
Les combats ont ensuite éclaté et la situation à Bir Tiguisit a empiré. « Nous n’étions pas stables sur le plan psychologique. Lorsque quelqu’un partait en voiture pour aller chercher de l’eau, nous pensions qu’il se ferait tuer et ne reviendrait jamais », raconte-t-il. « La nuit, nous n’arrivions pas à dormir à cause du bruit des bombardements. »
Au camp de Dakhla, les enfants se pressent autour de Nama Taleb-Omar. Son mari, qui était le directeur d’un musée à Agounit, sert au sein de l’armée sur le front.
« Je ne m’inquiète pas du tout pour lui, Allah est avec lui. Mais je me sens seule ici. Les amis des enfants ne sont pas là et mon amie Alam me manque vraiment. C’était une belle amitié. Nous étions comme une seule et même famille », confie-t-elle. « Je ne sais pas ce que les combats apporteront. La violence n’est jamais la solution. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.