Syrie : la guerre n’est pas finie

Samir Saul

Les défaites des djihadistes à Alep (décembre 2016), à Raqqa et à Hama (octobre 2017), dans la Ghouta orientale (mai 2018), ensuite à Deraa ne laissent sous leur emprise que l’enclave d’Idlib. Les préparatifs pour sa reprise étaient en cours. Ce serait la fin de partie à l’ouest et la sécurisation de la Syrie occidentale. Ne resterait à récupérer que la partie orientale du pays, moins peuplée, refuge de résidus de Daech et sous occupation américaine.

Puis vint un coup de théâtre le 17 septembre : une entente russo-turque ajournait l’opération. Quelques heures plus tard, un Iliouchine, appareil de reconnaissance russe, avec 15 militaires à bord, était abattu par inadvertance par la DCA syrienne lors d’une attaque israélienne contre la Syrie. Un F-16 israélien se dissimulait derrière le quadrimoteur russe, plus gros que l’avion de combat. Israël avait remis à la Russie un faux plan de vol et un préavis d’une seule minute, accréditant la thèse de la préméditation. L’entente de Sotchi et l’attaque israélienne incitent à faire le point sur cette guerre hybride et protéiforme, hydre dont les têtes ne cessent de repousser depuis son début en 2011.

On ne le dira jamais assez : la guerre qui se déroule en Syrie depuis 2011 est le conflit militaire principal de la présente décennie, comme les invasions de l’Afghanistan (2001), de l’Irak (2003) et du Liban (2006) l’ont été de la précédente. Marqueur des relations internationales contemporaines, elle met aux prises des acteurs mondiaux qui s’affrontent sur nombre d’autres sujets.

La Syrie est le champ d’application de la guerre par procuration, celle menée par le biais de djihadistes soutenus principalement par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, Israël et l’Arabie saoudite contre la Syrie, l’Iran, le Hezbollah et la Russie. À la guerre classique au moyen de troupes régulières succède la guerre de déstabilisation et de terrorisme faisant appel à des dizaines de milliers de supplétifs irréguliers. Cette formule est mise en oeuvre en raison de l’insuccès américain et israélien à contrôler la région par la voie traditionnelle des invasions et occupations militaires. Les ambitions hégémoniques contrariées comptaient y trouver une solution de rechange, voire une panacée. De tout temps, les empires se sont servis d’auxiliaires « indigènes ».

Les adeptes de la guerre par procuration annonçaient une réussite rapide. Or, elle échoue parce que la Syrie démontre, au prix d’immenses sacrifices, qu’elle est une authentique nation et qu’elle ne se laissera pas désarticuler par une discorde confessionnelle fomentée de l’étranger. Elle échoue aussi parce que la Syrie a des alliés qui la soutiennent, sous peine de subir à leur tour le même sort qu’elle.

Retour à la guerre classique ?

La guerre par procuration ayant fait long feu, les commanditaires des djihadistes se retrouvent en première ligne. Leur intervention directe a toujours été en arrière-plan. Si les missiles de croisière lancés contre la Syrie à la suite d’incidents chimiques sous faux drapeaux en avril 2017 et en avril 2018 n’étaient que spectacle et défoulement futiles, Idlib est maintenant leur dernière carte à l’ouest. Bâtiments et moyens offensifs sont déployés en Méditerranée et l’envie d’en découdre affleure. Réalisateurs spécialisés en scénarios chimiques, les inénarrables Casques blancs auraient déjà produit les vidéos requises.

Que ferait la Russie advenant une attaque sérieuse contre la Syrie ? L’entente de Sotchi diffère la réponse, tout en gardant la versatile Turquie, inquiète pour les milices djihadistes qu’elle parraine à Idlib, aux côtés de la Russie et distante de l’OTAN. Aussitôt, l’opération israélienne vient tester la Russie, Israël agissant de facto en éclaireur des Occidentaux. Réagira-t-elle ? Le sang-froid et la mesure des Russes devant les provocations incessantes font depuis longtemps contraste aux rodomontades du trio occidental et à l’hubris israélien, illustré par la gâchette facile et conforté par l’impunité.

Mais la perte de l’Iliouchine et de son équipage est l’affront de trop. Dépassant les bornes, aussi élastiques soient-elles, il touche directement la Russie. La ligne rouge est franchie ; ignorer n’est plus possible. À trop tendre la joue, on accroît la cadence et l’intensité des camouflets. La réplique est toute poutinienne : plutôt que de tirer, renforcer la défense syrienne par des S-300 et un dispositif de brouillage rendant l’espace aérien syrien des plus hasardeux à tout objet volant hostile. Pourquoi la Syrie, bombardée régulièrement par Israël, n’avait-elle pas ces systèmes ? La raison réside dans une donnée géostratégique ancienne au Moyen-Orient : le privilège de la supériorité militaire accordé à Israël et assuré par les États-Unis.

En attendant la fin de la guerre par une clarification à Idlib et le recouvrement de l’Est syrien, la possibilité d’un passage de la guerre par procuration à la guerre ouverte entre États reste une question posée.

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