Venezuela : chronique d’une sale guerre   

Jacques B. Gélinas, L’autre journal, 12 avril 2019

 

Cette histoire épique commence avec l’élection d’Hugo Chavez à la présidence du Venezuela, en décembre 1998. Elle se transforme en une sale guerre de déstabilisation avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, en janvier 2017. Elle prend des allures de guerre froide avec le débarquement des Russes à Caracas, en mars 2019.

Chavez a mis sa présidence sous l’égide de Simon Bolivar, le Libertador, celui qui a libéré le Venezuela du joug de l’empire espagnol. Il promet de réaliser la seconde indépendance du pays. Cette fois, contre l’empire états-unien. Et il annonce son intention de renverser l’ordre néolibéral. On comprend qu’à une telle enseigne, Chavez devient aussitôt la bête noire des États-Unis, qui vont lui livrer une guerre sans merci.

Pourquoi cet acharnement contre un pays, somme toute, inoffensif ? Pour deux raisons : le pétrole dont le Venezuela détient les plus grandes réserves au monde, et l’exemple d’une révolution politique, économique et sociale dont il faut éviter la propagation.

Pour bien analyser et comprendre cette situation, il faut d’abord connaître les faits, leur enchaînement et leurs conséquences. Les médias conventionnels ne vont pas dans ce sens. Trop souvent, journalistes et chroniqueurs se contentent de répercuter le discours des politiciens et des grandes agences de presse :  Maduro est un dictateur, sa mauvaise gestion de l’économie a produit une inflation désastreuse de 11 000 000 %, un manque de nourriture et de médicaments. Et le reste.

D’où l’importance d’un aut’ journal qui rapporte patiemment les faits, leur déroulement et leurs conséquences.

 

Sous le gouvernement d’Hugo Chavez (1998-2013)

  • Le 6 décembre 1998 : Hugo Chavez est élu président de la République avec 56 % des voix. Dès le premier jour, il promet un gouvernement révolutionnaire et annonce que le peuple aura à se prononcer par référendum sur la convocation d’une Assemblée constituante pour l’élaboration d’une Constitution novatrice.
  • Novembre 1999 : l’Assemblée constituante accouche d’une Constitution progressiste; elle reconnaît le rôle de l’entreprise privée, des investissements publics et des coopératives; dans cette économie plurielle, l’État exercera une fonction régulatrice; elle prévoit une nouvelle réforme agraire et préconise l’autosuffisance alimentaire; enfin, elle modifie le nom officiel du Venezuela qui devient la République bolivarienne du Venezuela.
  • Avril 2001 : au Sommet des Amériques tenu à Québec, Chavez est le seul des 34 chefs d’État et de gouvernement à s’opposer ouvertement au projet de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) conçu et promu par les États-Unis.
  • Avril 2002 : coup d’État concocté par l’oligarchie locale avec le concours de l’Agence états-unienne de renseignement, la CIA; Chavez est enlevé manu militari et fait prisonnier; deux jours plus tard, une gigantesque mobilisation populaire chasse les putschistes du Palais présidentiel et rétablit Chavez dans ses fonctions.
  • Août 2004 : référendum révocatoire – comme le permet la Constitution – demandé par les parties de droite; Chavez l’emporte haut la main.
  • Mars 2013 :  décès d’Hugo Chavez à l’âge de 59 ans.

 

Sous le gouvernement de Nicolas Maduro (2013-)

  • Avril 2013 : Nicolas Maduro est élu président. Les États-Unis n’ont pu déloger le charismatique Hugo Chavez, mais ils ont décidé d’en finir avec son successeur.
  • Décembre 2014 : le Congrès états-unien vote la loi 113-287 intitulée « Loi publique de défense des droits de l’Homme et de la société civile au Venezuela ». Cette loi invite à prendre des mesures coercitives unilatérales contre le Venezuela dans les domaines économiques, financiers et commerciaux.
  • Début 2015 : les trois principales agences de notation des États-Unis abaissent à répétition la cote de solvabilité du Venezuela; ces mesures et autres blocus financiers entravent l’accès du Venezuela aux financements internationaux.
  • Mars 2015 : le président démocrate Barack Obama sort de son chapeau un décret présidentiel déclarant le Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis ».
  • Juillet 2017 : Trump déclare : « C’est le pays [le Venezuela] contre lequel nous devrions être en guerre, ils ont tout ce pétrole et ils sont juste à côté de nous ». Et il multiplie les tweets belliqueux : « Je ne vais pas exclure une action militaire ».
  • Août 2017 : création du Groupe de Lima qui rassemble 13 pays latino-américains auquel se joint, par un excès de suivisme, le Canada de Justin Trudeau; le but du Groupe est de délégitimer le gouvernement Maduro.
  • Août 2017 : Donald Trump signe le décret présidentiel 13808 intitulé : « Imposition de sanctions additionnelles à propos de la situation au Venezuela ».
  • Août 2018 : tentative d’assassinat du président Maduro au moyen de drones bourrés d’explosifs.
  • 23 Janvier 2019 : Juan Guaido, chef d’un petit parti d’extrême droite et président de l’Assemblée nationale, s’autoproclame président de la République. À l’appel des États-Unis, 50 gouvernements, dont celui de Justin Trudeau, reconnaissent la légitimité de l’usurpateur.
  • 24 Janvier 2019 : la majorité des membres de l’Organisation des États américains (OEA) se prononce contre la destitution du président Maduro.
  • 26 janvier 2019 : le Conseil de sécurité des Nations Unies se prononce contre la reconnaissance de Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela.
  • 19 mars : lors d’une réunion extraordinaire, à Rome, le sous-ministre des Relations internationales de Russie avertit Elliott Abrams, responsable états-unien du renversement de Maduro, que Moscou ne tolérera pas une intervention militaire des États-Unis au Venezuela : à bon entendeur, salut !
  • 26 mars 2019 : le commandant en chef adjoint des forces terrestres de Russie débarque à Caracas accompagné de 99 militaires; deux avions-cargo suivent chargés d’équipements militaires. (On a cru remarquer qu’à partir de cette date Trump a modéré ses élans belliqueux.)
  • 2 avril 2019 : l’Assemblée constituante vote en faveur de poursuites pénales contre Juan Guaido pour avoir usurpé la fonction de président de la République.

 

Fragilité de la révolution chaviste

La révolution vénézuélienne a été lancée par un leader charismatique. C’est sa fragilité. Car, malheureusement, le charisme ne se transmet pas. Comment reprocher au successeur de Chavez de n’en point avoir ?

La faiblesse principale de la révolution chaviste, c’est la dépendance alimentaire, qui est restée la même qu’avant l’élection de Chavez, en 1998. Le Venezuela importe 70 % de sa nourriture. Cette grave dépendance s’avère d’autant plus aberrante que le Venezuela est une terre agricole. L’irruption de la manne pétrolière, dans les années 1920, a relégué la production agroalimentaire au dernier rang de l’économie.  D’ailleurs, l’aristocratie terrienne a toujours priorisé une agriculture d’exportation, plutôt qu’une agriculture vivrière destinée au marché intérieur.

En négligeant cette disposition de la nouvelle Constitution, les dirigeants de la révolution chaviste ont oublié que la souveraineté alimentaire est la première des souverainetés. Une faille qui ne justifie en rien l’agression impérialiste, mais la facilite.

Cette agression s’inscrit dans une politique étrangère plus large, appelée la Doctrine Monroe, qui se résume en trois mots : « L’Amérique aux Américains ».  Énoncée, en 1823, par James Monroe, cinquième président des États-Unis, cette Doctrine constitue une déclaration unilatérale d’hégémonie états-unienne sur les trois Amériques.

La sale guerre de déstabilisation que les États-Unis mènent aujourd’hui contre le Venezuela n’est pas sans raviver la mémoire de la quarantaine d’interventions perpétrée par l’Oncle Sam contre divers gouvernements d’Amérique latine. La plus connue et la plus sanglante demeure le renversement du président du Chili, Salvador Allende, en 1973.

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