Venezuela : la guerre hybride de Washington

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Plutôt que de mener une guerre conventionnelle, les autorités américaines ont cherché, au cours des derniers mois, à promouvoir les divisions internes, le sabotage et l’effondrement économique au Venezuela. Voici l’histoire complète de la guerre hybride menée par Washington contre ce pays.

Déstabilisation 

Le 7 mars, à la commission des relations extérieures du Sénat américain, Marco Rubio, un sénateur républicain de Floride, a assuré que les Vénézuéliens « étaient sur le point de connaître la pénurie la plus dramatique de leur histoire ». Cinq heures plus tard, la première panne d’électricité eut lieu. Puis les pannes et les explosions mystérieuses devinrent de plus en plus fréquentes dans les centrales électriques, et finirent par détruire à leur tour les pompes à eau. Début mars, des réservoirs de stockage contenant du diluant (qui est essentiel pour les raffineries de pétrole lourdes du pays) ont mystérieusement brûlé et début avril, un pipeline a explosé.

Les agences de renseignement et les agents locaux américains (et leurs alliés) ont de nombreuses capacités à provoquer le chaos dans des pays du monde entier. Les services de renseignement américains se préparent à la guerre cybernétique depuis des décennies, des plans ayant déjà été divulgués dans le passé. Et des rapports indiquent que les récentes pannes d’électricité au Venezuela étaient peut-être le résultat du travail de saboteurs ainsi que d’attaques cybernétiques américaines planifiées depuis longtemps, le tout fut aggravé par des sanctions affaiblissantes et un manque de pièces de rechange.

Les autorités américaines cherchent depuis près de deux décennies à renverser le gouvernement de gauche du Venezuela, un pays doté des plus grandes réserves de pétrole de la planète. Mais il faut considérer les événements récents comme le dernier acte en date et le plus intensif de cette campagne de déstabilisation.

Les médias à l’attaque 

En amplifiant son agression contre le Venezuela au cours des derniers mois, le gouvernement Trump a pu mobiliser un consensus bipartite sur la politique étrangère. Cela n’aurait pas été possible sans la façon dont le lobby médiatique a, pendant vingt ans, dépeint une histoire unilatérale de la situation dans le pays, en prévoyant toujours une fin tragique.

Au début du mois de janvier, de nombreux gouvernements néolibéraux et conservateurs de l’hémisphère occidental et de l’Europe occidentale se sont joints au gouvernement de Trump pour reconnaître Juan Guaidó, le chef de file de droite à l’assemblée nationale du Venezuela (largement méconnu), comme le président auto-proclamé du pays. Pourtant, la grande majorité des pays du monde entier a refusé de reconnaître Guaidó.

Les principaux médias américains ont depuis lors recyclé une campagne de propagande intensive visant à saper la légitimité de Maduro tout en renforçant celle de Guaidó.

On estime que Washington et ses alliés ont gelé plus de 30 milliards de dollars d’actifs vénézuéliens (de la société pétrolière CITGO basée aux États-Unis mais appartenant à des Vénézuéliens aux réserves d’or et autres avoirs), et que de nombreux tiers et entreprises subissent des pressions pour qu’ils cessent leurs activités dans le pays.

La stratégie des faucons 

Les néo-conservateurs du gouvernement de Trump semblent considérer cela comme le moment opportun pour une stratégie plus coercitive et violente. C’est ce qui est devenu particulièrement évident avec la nomination d’Elliott Abrams le 25 janvier 2019 en tant que spécialiste des relations avec le Venezuela.

Abrams, qui est un ancien membre des gouvernements de Ronald Reagan et de George W. Bush, a contribué à la supervision des sales guerres qui ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes en Amérique centrale dans les années 1980.  Il était courant, sous la direction d’Abrams, que les services de renseignement américains fassent appel à des sociétés écran et concluent des accords avec des sociétés privées afin d’expédier illégalement des armes en Amérique latine afin d’armer des escadrons de la mort.

Des envois secrets d’armes de la CIA 

Le 3 février, les autorités vénézuéliennes ont découvert une cache secrète d’armes et de matériel à bord d’un Boeing 767. Cet envoi comprenait 19 armes d’assaut (principalement des AR-15) et « 90 antennes radio militaires ». L’avion avait fait le trajet de Miami à Valence dans la province vénézuélienne de Carabobo. Les autorités vénézuéliennes ont accusé les autorités américaines et des groupes d’extrême droite à Miami d’avoir introduit des armes illégalement dans le pays afin de déclencher une guerre civile.

Quelques jours plus tard, le groupe de presse McClatchy, basé à Washington, a annoncé que l’avion faisait généralement le trajet entre Philadelphie et Miami et sur l’ensemble des états continentaux des Etats-Unis. Cependant, McClatchy a découvert que, début janvier, l’avion avait commencé à effectuer des voyages constants (40 au total) en Colombie et au Venezuela, parfois plusieurs fois par jour. Les vols ont commencé immédiatement après la prise de fonction de Nicolás Maduro, le président sortant du Venezuela.

Après la saisie des armes à Valence au début du mois de février, de nouvelles informations ont émergé. Comme l’a rapporté le bureau de DC de McClatchy, l’avion appartenait à la compagnie 21 Air, une compagnie aérienne de vols charter basée à Greensboro, en Caroline du Nord. Selon un rapport d’Amnesty International, le président et propriétaire majoritaire de 21 Air, Adolfo Moreno, et le directeur du contrôle de la qualité, Michael Steinke, auraient eu des liens avec Gemini Air Cargo, une société impliquée dans plus de 30 services d’affrètement aériens utilisés pour les expéditions d’enlèvement de la CIA. C’est au moment où des personnes soupçonnées de terrorisme par les autorités américaines étaient torturées et interrogées dans les « sites noirs » de la CIA à travers le monde.

Tim Johnson, le journaliste de McClatchy, a ajouté ceciSi vous consultez les réseaux sociaux et explorez les antécédents des employés de 21 Air et de leurs sociétés affiliées, vous constaterez qu’il existe de nombreux comptes d’employés qui suivent l’opposition vénézuélienne, ainsi que des comptes de l’opposition qui les suivent également. Les employés de l’entreprise manifestent de la sympathie pour l’opposition à Maduro au Venezuela.

21 Air a nié les allégations selon lesquelles elle serait une société écran de la CIA ou impliquée dans des envois illégaux d’armes en Amérique latine.

L’orage à venir

Les responsables vénézuéliens semblent s’efforcer de trouver des moyens pour que leur pays survive au siège tout en évitant la guerre civile. Un réacheminement intensifié des chaînes d’approvisionnement, loin des États-Unis et de leurs alliés, et par le biais des entreprises d’état et d’entreprises capitalistes liées à l’état d’autres régions du monde, telles que celles basées en Chine et en Russie, semble être la seule option qui reste. Néanmoins, comme le soulignent Mark Weisbrot, économiste au CEPR, et Jeffrey Sachs, professeur à l’Université Columbia : « L’économie du Venezuela va considérablement se contracter au cours de l’année à venir, ce qui entraînera de grandes douleurs et souffrances qui ne feront qu’intensifier la crise actuelle de l’émigration ». Dans une étude approfondie, les deux économistes ont documenté les conséquences socio-économiques de la guerre économique américaine frappant un pays déjà en crise. Ils expliquent que les sanctions ont déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes.

Les sanctions (imposées par les États-Unis et leurs alliés) sont en train de tout bloquer ou ralentir, des activités financières internationales à l’importation de médicaments pour le paludisme et l’insuline en passant par l’accès aux traitements antirétroviraux pour les personnes atteintes du VIH. Les autorités américaines envisagent également de limiter les transactions de Visa et Mastercard dans le pays. Ces politiques visant le Venezuela pourraient éventuellement chercher à imiter les sanctions brutales prises contre l’Iraq au cours des années 90.

Toutefois, des lacunes apparaissent dans le plan américain de changement de régime. Plutôt que de se rallier à sa cause putschiste, les habitants ont accueilli Juan Guaidó, le président autoproclamé, avec une intense colère lors d’une récente visite dans un quartier pauvre de Caracas. De plus, dans les capitales européennes, Guaidó semble avoir une reconnaissance de plus en plus amoindrie, et dans les Caraïbes, les mouvements anti-impérialistes sont en ébullition.

Alors que l’opposition augmente contre la guerre hybride de Trump au Venezuela, de plus en plus d’états et d’institutions pourraient bientôt soutenir le plan de l’Uruguay et du Mexique sur la négociation d’un accord. Tout dépendra également du fait que Trump obtienne un second mandat ou de l’identité exacte du candidat principal démocrate.

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