Quelques jours avant que le Canada se décide à appeler à un «Cessez-le feu humanitaire», la Ligue des droits et libertés (LDL) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ont exhorté le gouvernement canadien à prendre pleinement et publiquement ses responsabilités en matière de droits humains et devant les violences extrêmes en cours à Gaza. Le Canada doit maintenant mettre en place de façon urgente des mesures qui sont en cohérence avec le respect et la promotion du droit international humanitaire et du droit international des droits humains.
Montréal et Paris, le 8 décembre 2023
Le très honorable Justin Trudeau, C.P., député
Premier Ministre du Canada
L’honorable Mélanie Joly, C.P., députée
Ministre des Affaires étrangères
La Ligue des droits et libertés (LDL) est une organisation indépendante, non partisane et sans but lucratif, vouée à la défense des droits humains. Depuis sa création en 1963, la LDL a influencé plusieurs politiques gouvernementales et projets de loi au Québec et au Canada, en plus de contribuer à la création d’instruments voués à la défense et la promotion des droits humains, tels que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
La LDL est membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), une ONG internationale regroupant 188 organisations nationales de défense des droits humains provenant de 116 pays. Depuis 1922, la FIDH est engagée dans la défense de tous les droits humains tels que définis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle compte parmi ses membres plusieurs organisations de droits humains palestiniennes et israéliennes.
La LDL et la FIDH souhaitent vous communiquer aujourd’hui, Monsieur le Premier ministre et Madame la Ministre, leurs vives inquiétudes concernant l’offensive militaire israélienne de grande envergure qui se déploie depuis deux mois dans la bande de Gaza.
Au moment d’écrire cette lettre, plus de 16 000 Palestinien-ne-s ont été tué-e-s, dont 70% sont des enfants et des femmes, et des milliers de personnes ont été blessées à la suite des bombardements menés par Israël sur la bande de Gaza. Les actions militaires d’Israël ont été menées en représailles à une attaque du Hamas le 7 octobre en Israël, où 1 200 Israélien-ne-s, dont des civils, ont été tué-e-s et au cours de laquelle plus de 200 otages ont été capturés. Ces actions ont été condamnées par la FIDH dans une déclaration le 11 octobre 1 ainsi que par la LDL dans une déclaration appelant au respect des droits humains et du droit international, publiée le 1er novembre 2.
Israël a lancé une agression militaire et de grande envergure sur la bande de Gaza 3, avec l’intention de cibler les civils, les structures civiles, les équipes médicales, les journalistes, les établissements des Nations Unies et les infrastructures. Depuis lors, et suivant des déclarations officielles indiquant l’intention de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et incitant à commettre des actes de génocide, Israël a intensifié le blocus total sur Gaza punissant la population entière, a coupé l’eau, l’électricité et l’accès de l’aide humanitaire, et a ordonné à plus d’un million de personnes du nord de la bande de Gaza et de la ville de Gaza de se déplacer vers le sud de ce territoire densément peuplé. Des bombardements israéliens ont eu lieu dans toute la bande de Gaza, y compris au sud où la population s’était réfugiée. Il en résulte de graves crises humanitaires qui ne font que s’aggraver de jour en jour. La reprise des hostilités après une trêve de quelques jours ravive nos préoccupations, d’autant plus qu’Israël est explicite sur ses intentions de poursuivre cette offensive militaire.
Dans les territoires palestiniens occupés en Cisjordanie, les organisations membres de la FIDH basées en Palestine et en Israël ont recueilli des preuves de plus en plus flagrantes d’une exceptionnelle augmentation des violations des droits humains. En Cisjordanie, les autorités israéliennes ont facilité le meurtre et le déplacement de Palestinien⋅nes, nié leur liberté de mouvement, procédé à des centaines d’arrestations arbitraires accompagnées de détentions administratives et soumis les détenu⋅es palestinien⋅nes à des mauvais traitements ainsi qu’à des traitements qui pourraient être qualifiés de torture. Les violations des droits humains décrites dans une déclaration de la FIDH le 9 novembre 2023 4forment un système oppressif qu’Israël impose aux Palestinien⋅nes, de même qu’aux dissident-e-s israélien-ne-s.
En tant qu’organisations de défense des droits humains dont la mission est entre autres de s’assurer du respect du droit international et des principes des droits humains, la FIDH et la LDL appellent les États et leurs gouvernements à respecter le droit international et à l’appliquer à tous, sans double standard. Les États doivent agir pour mettre fin de façon durable à cette effusion de sang, appeler à un cessez-le-feu permanent, au respect des droits humains et de la dignité des personnes, et rendre imputables les auteurs d’actes qui constituent des crimes en vertu du droit international.
Signataire des Conventions de Genève, la Canada a une obligation juridique de « faire respecter » le droit international 5. L’article 89 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux stipule : « Dans les cas de violations graves des Conventions ou du présent Protocole, les Hautes Parties contractantes s’engagent à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies et conformément à la Charte des Nations Unies ».
État partie à la Convention de la prévention et de la répression du crime de génocide, le Canada a l’obligation juridique de prévenir et de punir le génocide 6. Il s’agit d’une responsabilité juridique contraignante en vertu du droit international et de l’article 1, qui requiert du Canada qu’il influence de façon effective l’action des officiels et personnes israéliennes susceptibles de commettre des crimes internationaux et un génocide contre la population Gazaoui et palestinienne en général.
Nous en appelons à la responsabilité du Canada en matière de respect des droits humains et demandons au gouvernement canadien d’intervenir de manière urgente pour :
- Dénoncer l’attaque israélienne sur Gaza et les crimes commis en vertu du droit international, appeler à un cessez-le-feu immédiat et prendre des mesures concrètes pour assurer la protection du peuple palestinien contre les attaques d’Israël ;
- Exiger la mise en place d’un couloir humanitaire d’urgence, afin de faciliter l’approvisionnement de Gaza en produits de première nécessité et de protéger la dignité humaine, la population ayant un besoin urgent de fournitures médicales, d’eau et d’autres biens ;
- Déployer tous les efforts diplomatiques possibles pour obtenir la libération immédiate de tous les otages détenus par les groupes armés palestiniens et de tous les prisonniers palestinien-ne-s détenu-e-s arbitrairement par Israël ;
- Exiger d’Israël la fin du blocus et de la punition collective imposés à la population de Gaza depuis 16 ans ;
- S’attaquer aux causes profondes de la situation en Palestine et en Israël, incluant l’occupation illégale et l’apartheid imposés au peuple palestinien ainsi que le déni permanent au peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et au retour des réfugié-e-s ;
- Contribuer et soutenir les enquêtes indépendantes en cours et à venir sur les crimes commis, et exiger des comptes aux responsables. De même, soutenir sans équivoque le travail du Bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) dans son enquête en cours sur les crimes internationaux commis dans le contexte de la situation en Palestine;
- Imposer un embargo bilatéral sur l’envoi d’armes à Israël;
- Imposer des sanctions financières et commerciales aux autorités israéliennes, y compris une interdiction de commerce avec les colonies israéliennes illégales dans les territoires palestiniens occupés.
Monsieur le Premier ministre, Madame la Ministre, la Ligue des droits et libertés et la Fédération internationale pour les droits humains exhortent le gouvernement canadien à prendre pleinement et publiquement ses responsabilités en matière de droits humains et à mettre en place de façon urgente des mesures qui sont en cohérence avec le respect et la promotion du droit international humanitaire et du droit international des droits humains.
Veuillez agréer nos salutations distinguées,
Alexandra Pierre
Présidente
Ligue des droits et libertés (LDL)
Alice Mogwe
Présidente
Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
- FIDH, Israël/Palestine : la FIDH condamne l’escalade de violence et les doubles standards, Déclaration, 11 octobre 2023.[↩]
- LDL, Palestine/Israël – La Ligue des droits et libertés appelle au respect des droits humains et du droit international, communiqué 1er novembre 2023.[↩]
- FIDH, La tentative de déplacement forcé de plus d’un million de personnes dans la bande de Gaza est illégale et catastrophique, Déclaration, 13 octobre 2023.[↩]
- FIDH, Augmentation alarmante des violations des droits humains contre les Palestinien·nes dans les territoires occupés et en Israël, Déclaration, 9 novembre 2023.[↩]
- Article premier de chacune des quatre Conventions de Genève de 1949.[↩]
- Article premier de la Convention internationale de prévention et de répression du crime de génocide de 1948 ratifiée par le Canada en 1952.[↩]