États-Unis : pandémie, populisme et Bourse

LA BOTZ Dan,  Europe solidarités sans frontière, 3 février 2021

Le populisme aux États-Unis désigne les moments où le peuple, au moins certains de ses éléments, arrive sur la scène publique, pour plus ou moins de temps. Le mot est utilisé pour désigner des choses très différentes et a été appliqué aussi bien à Bernie Sanders qu’à Donald Trump.

Le mot est maintenant aussi utilisé pour parler de la rébellion des petits boursicoteurs contre les « hedge funds » (fonds de placement qui achètent des actions d’entreprises).

Quelques millions de particuliers qui ont lu les « wall­streetbets » de Reddit et d’autres sites similaires de conseils pour jouer en Bourse ont commencé à acheter en masse des actions de GameStop (une entreprise fabriquant des jeux vidéo et des consoles) et d’autres actions de faible valeur. L’idée étant d’acheter ces actions bon marché et de les revendre une fois que leur cours aurait monté.

Seuls les riches ont le droit de jouer au casino de la bourse

La valeur boursière de GameStop est ainsi passée de deux milliards de dollars à 24 milliards de dollars en quelques jours, tandis que le cours de ses actions a augmenté de plus de 1 700 % en moins d’un mois. Cela a obligé les vendeurs à découvert des hedge funds à emprunter des milliards de dollars pour éviter une catastrophe (ils avaient vendu des titres qu’ils ne détenaient pas et ont dû les racheter plus cher pour pouvoir les livrer aux acheteurs). Au fur et à mesure que le phénomène se développait, des millions de personnes ont applaudi aux manœuvres de ces particuliers « stupides » alors qu’ils semblaient mettre les hedge funds à genoux.

Lorsque RobinHood, une application populaire prétendument créée pour aider les petits investisseurs mais détenue par un fonds spéculatif, a cessé de négocier des actions Game­Stop afin de faire baisser leur prix (et ainsi soutenir les hedge funds), il y a eu un déferlement immédiat de critiques de la part de ses utilisateurs, soutenus par des sondages d’opinion, des humoristes des « Late Shows » et des politiciens. La députée de gauche Alexandria Occasio-Cortez a qualifié l’action de Robin Hood d’« inacceptable » et le sénateur de droite Ted Cruz, un partisan de Trump, s’est immédiatement déclaré d’accord avec elle. Comme beaucoup de petits épargnants l’ont déclaré, utiliser Wall Street comme un casino est acceptable quand c’est l’élite financière qui fait les paris (et empoche les gains), mais lorsque le « riff-raff » (la racaille) est entré en jeu, les riches ont soudainement voulu fermer les portes.

Même si nous avons 450 000 décès dus à la pandémie de Covid, près de 20 millions de chômeurEs et 12 millions d’enfants dans la faim, c’est la lutte autour de GameStop et quelques autres actions boursières qui a dominé l’actualité et a pour le moment captivé l’imagination du public.

Ressentiment croissant vis-à-vis de l’élite

Seuls 14 % des ÉtatsunienEs investissent directement sur le marché boursier, bien qu’environ 40 % disposent de fonds de pension qui investissent sur le marché. Environ 84 % de toutes les actions détenues par les ÉtatsunienEs appartiennent en fait aux 10 % des ménages les plus riches. La plupart des actions sont en fait détenues par des sociétés de gestion d’actifs, la plus importante étant BlackRock, qui gère 6 400 milliards de dollars, tandis que les neuf autres sociétés les plus importantes ont chacune entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Avec la pandémie qui fait rage depuis dix mois, les 660 milliardaires US ont augmenté leur richesse de 40 %, et il y a également 46 nouveaux milliardaires.

Au cours des deux dernières décennies, le marché boursier s’est de plus en plus déconnecté de l’économie réelle, c’est-à-dire de l’agriculture, des mines et de l’industrie, des services publics, des transports et des services de toutes sortes. Cette financiarisation de l’économie a eu lieu parce que les investisseurs peuvent gagner plus d’argent sur le marché financier qu’ils ne le peuvent dans le secteur manufacturier, par exemple. La Bourse, qui a toujours eu tendance à fonctionner comme un casino, est devenue un Las Vegas ou un Monte-Carlo. Mais les riches qui y jouent sont proches des gérants du gouvernement, qui réparent la roulette et les tables de cartes pour que leurs copains gagnent toujours. C’est à cela que les petits commerçants et le grand public s’opposent, au fait que le jeu réglementé par le gouvernement est truqué pour favoriser les riches.

C’est ce ressentiment croissant vis-à-vis de l’élite qui a alimenté le populisme de gauche et de droite, qui parlent tous deux de renverser ce système injuste. La droite voudrait mettre de nouveaux gérants en charge du casino, tandis que la gauche veut fermer le casino et établir une société coopérative. En attendant, tout le monde applaudit les petits boursicoteurs qui font un peu trébucher les milliardaires, du moins pour le moment.