Productivisme capitaliste, crise sanitaire, crise climatique

TANURO Daniel, Gauche anticapitaliste, 20 mars 2020

Le virus nous parle. Il nous dit que nous avons besoin de solidarité, de générosité et de mesure. Il nous dit que l’austérité, la privatisation et la rentabilisation à tout va sont criminelles, surtout dans la santé. Il nous dit aussi qu’il est possible d’initier une vraie diminution radicale des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 7% en base annuelle. A une condition : produire moins et transporter moins.

Evidemment, le virus ne fait preuve d’aucun discernement : il réduit les émissions à l’aveuglette, en supprimant des vies, en créant beaucoup de souffrances, d’isolement et d’angoisse. Il exacerbe les inégalités et la précarité sociales. A terme, nous pourrions être confrontés à des pénuries de certains biens de première nécessité. Il serait donc absurde ou cynique de se réjouir.

Il serait encore plus absurde ou cynique de compter sur le virus pour atteindre les gigantesques réductions d’émissions nécessaires année après année, selon les scientifiques, pour ne pas dépasser 1,5°C. de réchauffement (-65% dans les pays de l’UE d’ici 2030, -58% au niveau mondial, -100% d’ici 2050). Cette épidémie doit être enrayée le plus vite possible.

N’empêche que l’action du virus est plus efficace que celle des gouvernements. En dépit des négociations qui durent depuis 25 ans, les émissions de CO2 sont 60% plus élevées aujourd’hui que lors du Sommet de la Terre, en 1992. En dépit de l’accord de Paris, les mesures prises par les gouvernements nous promettent un réchauffement de 3,3°C – un niveau deux fois supérieur à celui que ces mêmes gouvernements ont décidé de ne pas franchir !

Alors, que nous soyons exposé.e.s au danger sur nos lieux de travail ou confiné.e.s chez nous, le virus nous invite à penser et à libérer nos imaginations pour poser quelques questions. Par exemple :

 Pourquoi la réduction à l’aveugle des productions et des transports par le virus ne pourrait-elle pas céder la place à une réduction consentie et planifiée par la société, en commençant par les productions inutiles et nuisibles ?

 Pourquoi les travailleurs.euses affecté.e.s par la suppression (en tout ou en partie) de ces productions inutiles ou nuisibles (les armes, la publicité, les voitures individuelles, les plastiques…) ne pourraient-iels pas garder leur revenu et bénéficier d’une reconversion collective dans des emplois de soins aux personnes et aux écosystèmes, socialement et écologiquement utiles et personnellement valorisants ?

 Pourquoi la mondialisation dictée par la maximisation du profit sur les « chaînes de valeur » des multinationales ne pourrait-elle pas céder la place à une coopération décoloniale généreuse, basée sur la justice sociale et climatique, la liberté de circulation et d’installation des personnes et la souveraineté alimentaire ?

 Pourquoi l’agrobusiness destructeur de la biodiversité et de la santé – qui favorise la propagation des virus ! [1] – ne pourrait-il céder la place à une agroécologie, meilleure pour la santé humaine et pour la biodiversité ?

 Pourquoi le centre de gravité de la société ne pourrait-il pas basculer de la sphère de la production de marchandises à la sphère du « prendre soin » des humains et des non-humains ?

 Pourquoi ne pourrait-on pas à la fois produire moins, transporter moins et partager plus : partager les richesses, les savoirs, le travail nécessaire, et… partager le temps, cette ressource précieuse entre toutes ?

L’argument des politiques qui ne font rien pour sauver le climat est toujours le même : « Nous on veut bien, mais les gens ne veulent pas changer leur comportement consumériste ». La réponse à l’épidémie montre au contraire que, bien informées du danger, les populations acceptent des changements importants dans leur mode de vie.

Elle nous montre aussi que ceux qui ne veulent pas changer, en réalité, ce sont les responsables économiques, les financiers, et les actionnaires des grandes entreprises. Même en période d’épidémie, ils veulent continuer à produire toujours plus à moindre coût, pour faire le maximum de profit. Au mépris de la santé des travailleurs, des travailleuses et de la population.

Le virus nous dit que les gouvernements sont au service de cette politique : alors qu’il y a urgence sanitaire, ils refusent de suspendre l’activité dans les secteurs non-vitaux ; alors qu’il faut refinancer le secteur de la santé, ils aident les banques [2] ; alors qu’il faut plus de solidarités, ils continuent à harceler les allocataires sociaux/ales, les sans-abri, les migrant.e.s, les pensionné.e.s ; alors qu’il faut plus de démocratie et de participation pour vaincre l’épidémie, ils s’octroient des pouvoirs spéciaux…

Les innombrables initiatives de la base pour aider les sans-abri, les défavorisé.e.s, les personnes âgées, les sans-papiers, soutenir les personnels de la santé, les grèves pour arrêter les entreprises non-vitales, etc., montrent qu’une autre politique est possible. Une politique d’auto-discipline solidaire, démocratique, sociale et généreuse.

En 2002, lors de l’épidémie du Coronavirus SRAS, les virologues ont prévenu que d’autres coronavirus suivraient et qu’il était possible de trouver un vaccin, mais les gouvernements ont refusé de financer leurs recherches. Ils veulent que la recherche médicale reste aux mains des multinationales du secteur pharmaceutique, dont l’objectif n’est pas la santé publique mais le profit par la vente de médicaments sur le marché des malades solvables.

De même, depuis 25 ans, les climatologues préviennent que le changement climatique risque de s’emballer et qu’il faut l’arrêter en cessant de brûler du pétrole, du charbon, du gaz naturel. Mais les gouvernements n’ont rien fait. Ils veulent que l’énergie reste aux mains des multinationales dont l’objectif n’est pas la transition énergétique la plus rapide possible dans la justice sociale mais le profit avant tout.

Le changement climatique est infiniment plus dangereux que l’épidémie. Il risque de faire monter le niveau des mers de plus de dix mètres. Si nous n’agissons pas très vite, il rendra la Terre inhabitable pour des centaines de millions d’humains et d’innombrables non-humains, sans retour en arrière possible. Les plus pauvres, les plus faibles en paieront les frais.

La manière de lutter contre cette menace dépend des priorités choisies. L’épidémie met en lumière celles des possédant.e.s et leurs conséquences : la production de marchandises avant les soins au gens ; la liberté de spéculer (sur les masques, par exemple) avant la liberté de circuler ; le sauvetage des banques avant le financement des services sociaux ; les pouvoirs spéciaux et le flicage généralisé (comme en Chine !) au lieu de la participation démocratique ; la traque des migrant.e.s au lieu de la solidarité.

A partir de ce précédent, chacun.e peut imaginer comment les mêmes priorités seront appliquées lorsque les possédant.e.s n’auront plus d’autre choix que de décider – trop tard – de faire quelque chose contre la menace climatique.

Invisible comme le CO2, le virus nous avertit. Il nous dit de cesser de nous croire plus forts que la nature dont nous faisons partie. Il nous dit que le productivisme capitaliste nous a conduits au bord du gouffre et que les maîtres du monde ne nous sauveront pas : ils se sauveront, eux, aux dépens des pauvres, des exploité.e.s, des opprimé.e.s et de nos libertés. Il nous dit que les politiciens néolibéraux ne nous sauveront pas : nous devons nous lever et nous organiser pour mettre fin au capitalisme, ce système aberrant qui dérègle complètement notre relation au monde et à nos semblables.

Notes

[1] Les spécialistes s’accordent à dire que la destruction des milieux naturels et la standardisation agricole sont une cause d’apparition et de propagation de nouvelles viroses.

[2] La Banque centrale européenne dégage 750 milliards d’Euros pour « soulager les banques » en rachetant des dettes aux entreprises et aux Etats.