Article publié dans Le Devoir, le 18 août 2021
Avec le retour des talibans au pouvoir, l’Afghanistan est en train de tourner la page. Cette nouvelle défaite des États-Unis est un événement de portée mondiale.
Dans les années 1980, les États-Unis organisaient avec leurs alliés pakistanais et saoudiens un vaste programme d’armement pour les moudjahidines, dans le but d’embourber davantage l’URSS, alors protecteur du régime afghan. Cela a réussi, forçant le retrait honteux de l’armée soviétique et plus tard l’écroulement du gouvernement afghan.
Quelques années plus tard, les talibans ont conquis le pouvoir et mirent en place un régime ultrarépressif. Les États-Unis n’ont pas voulu s’en mêler, jusqu’à ce que l’Afghanistan devienne le refuge des islamistes radicaux, ce qui devint évident le 11 septembre 2001.
Avec l’occupation américaine dès 2001, les talibans furent chassés du pouvoir et se replièrent dans les régions montagneuses du sud et les provinces limitrophes avec le Pakistan. Entre-temps, les États-Unis, avec leurs alliés-subalternes européens et canadiens, tentèrent une intensive « réingénierie » leur donnant plein pouvoir sur le pays. Or, cette stratégie de « substitution » s’avéra un grand échec. Des régions entrèrent en dissidence avec des populations opposées à la violence de l’occupation et la corruption des élites pro-américaines.
Plus tard, les talibans consolidèrent leur emprise en installant une administration parallèle, tout en diversifiant leurs actions avec des attaques spectaculaires dans les villes. L’Afghanistan, selon le président Obama, était un dossier secondaire dont on devrait se débarrasser.
Avec le retrait sous Biden, les États-Unis ont abandonné le régime afghan totalement incapable de tenir plus qu’une semaine. Ce qui a eu l’avantage d’éviter un bain de sang. Les talibans disent ne pas envisager une grande purge. Devenus plus « realpolitiks », ils sont dominés par une élite professionnalisée et bureaucratisée qui préfère gouverner plutôt que de continuer la guerre. C’est pour cela qu’ils promettent dans diverses négociations avec les États-Unis, la Chine et la Russie d’empêcher le retour de factions radicalisées comme al-Qaïda et Daech.
Sur le terrain cependant, cela sera une tâche ardue de remettre de l’ordre dans un pays dévasté et éclaté, d’autant plus que ces centaines de milliers d’Afghans vont tenter de quitter le pays.
La guerre sans fin
À moyen terme, la domination talibane pourrait être fragilisée, en partie à cause de l’opposition venant de groupes minoritaires craintifs des talibans. Et il y a aussi le contexte régional. La victoire des talibans est en bonne partie la victoire du Pakistan, qui est en train de devenir un allié stratégique de la Chine, via les mégaprojets chinois représentant plus de 62 milliards de dollars.
Selon plusieurs sources, le rétablissement de la sécurité en Afghanistan est une condition sine qua non pour la réussite de ces ambitions pharaoniques. Or, la nouvelle stratégie américaine est de contenir les avancées chinoises en combinant actions militaires et économiques. Les efforts de Washington pour s’intégrer dans une alliance anti-Chine incluent l’Inde, ennemi irréductible du Pakistan. Il est possible que l’Afghanistan se retrouve à nouveau engouffré dans un vaste conflit géopolitique.
Le Canada n’est plus un acteur important dans cette crise, mais cela ne veut pas dire qu’il soit absent complètement. L’alignement du Canada derrière l’offensive contre la Chine ouvre possiblement une nouvelle étape. Coincé entre la Chine, avec ses ambitions impériales et ses pratiques douteuses en matière de droits de la personne, et les États-Unis qui semblent incapables de gérer l’effritement de leur statut en tant que l’unique superpuissance, le Canada se trouve en mauvaise posture. Ne serait-il pas possible d’œuvrer à la reconstruction d’un ordre mondial multipolaire où les responsabilités de s’attaquer à la crise des crises seraient partagées ?